Pourquoi je préfère le whiskey irlandais ?

C’est toujours pareil : un question d’histoire !

la paternité du whisky

On met tout de suite les pieds dans le plat !
La première mention sans ambiguïté du whisky écossais est antérieure (1494).
Mais la première mention du whisky irlandais (1556) indique une utilisation bien plus large qu’en Écosse.

Dans l’Exchequer Rolls of Scotland (livre des comptes sous la responsabilité du contrôleur d’Écosse entre 1326 et 1708) on trouve une entrée de 1494 mentionnant “l’achat de 8 bolls de malt par le frère John Cor, sur ordre du roi Jacques IV d’Écosse, pour la fabrication d’aqua vitae. On ne sait pas qui il était, ni où il était domicilié, mais il fabriqué de l’eau-de-vie à partir de malt.

Un loi du  parlement (anglo-irlandais) d’Irlande est adopté en 1556pour empêcher la fabrication d’aqua vitae” car “elle consomme beaucoup de maïs, de céréales et d’autres choses”. On peut en déduire que la distillation se faisait à importante échelle.

Voici les premières mentions respectives de l’ancêtre lointain du whisky en Écosse et Irlande.
Mais quelques indices nous laissent à penser qu’il y serait antérieur :

Si nous remontons encore le temps, nous trouvons le père de la distillation celtique : l’Écossais Michael Scot (1175-1236).
Ayant étudié l’arabe à Tolède, il avait traduit des ouvrages tels que l’œuvre alchimique majeure de Rhazes, Liber Luminis Luminum, et connaissait la distillation. Une brève mention dans l’Enfer de Dante (1307) est tout ce qui reste de son travail.

Dans des Contes de Canterbury, écrits en Grande-Bretagne par Geoffrey Chaucer entre 1378 et 1400 ; une des 24 histoires du recueil (The Canon’s Yeoman’s Tale) parle des secrets de l’alchimie. Il est question d’alambics et de chaleur, d’une liste complexe d’ingrédients et de procédés, dont “oille de tartre, verre d’alun, berme, moût

Il est peu crédible que cette distillation de bière ait mis un siècle (1378-1494) à voyager de Grande-Bretagne en Écosse.
C’est encore plus improbable si l’on considère la famille MacBeathads (anglicisé en Beatons), qui est arrivée sur l’île d’Islay en 1300. Ils étaient les médecins de la cour de tous les rois écossais, de 1306 à 1625.
En tant qu’« Arabes convaincus », les Beatons suivaient les principes médicaux alchimiques et à base de plantes d’Avicenne (ابن سینا) et d’Averroès (ابن رشد), initialement traduits en latin par Michael Scot, puis en gaélique par les Beatons eux-mêmes au 14th.

Tout laisse à penser, malgré l’absence de preuve, que l’eau-de-vie de malt serait née dans l’archipel vers 1300, côté écossais.

uisce beatha, usquebaugh, escubac

Le écossais sont donc les premiers à avoir réalisé un spiritueux de grain, une sorte de bière1 distillée.
1 sans houblon, courant dans le brassage à partir du 13th.

Toutefois, c’est en Irlande que cette simple Aqua Vitae de céréale à pris son identité propre, et son nom !

Carte tirée d’Itinerary, de Fynes Moryson – 1617

Le voyageur anglais Fynes Moryson (1566-1630) se rendit en Irlande de 1600 à 1603, en pleine guerre de 9 ans (1594-1603).
Il donnera dans ses récits de voyage, publiés en 1617, la description d’un certain Usquebaugh :

l’usquebaugh est préféré à notre aqua vitae parce que le mélange de raisins secs, de graines de fenouil et d’autres choses atténuent la chaleur et rendent le goût agréable …

Fynes Moryson – 1603

Le mot Usquebaugh est une traduction anglaise du gaélique irlandais Uisce Beatha (Uisge Beatha en Écosse) traduisant le latin Aqua Vitae.
Cet Escubac comme disaient les français, sera la racine du mot « Whisky » qui sera enregistré pour la première fois en 1715.

Entre 1600 et 1715, ni Aqua Vitae ni Whisky, on parlera d’Usquebaugh.

En fait, l’usquebaugh et le whisky sont deux boissons différentes.
Le premier est aromatisé, le second est clair et chaud, sortant directement de l’alambic.
Sir Thomas Phillips obtiendra du roi Jacques Ier, en 1608, le droit exclusif de distiller dans le « comté d’O’Cahane.
On trouve dans des écrits que “Sir Thomas était autorisé à faire, à savoir : acquavitae , usquabagh, et aqua composita”.
En d’autres termes, il été autorisé à faire trois styles différents de proto-whisky : du whisky pur, du whisky qui avait été redistillé avec des arômes et du whisky dans lequel des arômes avaient macéré.

Le Usquebaugh était, si on croise les droits de Sir Thomas aux récits de Moryson : Un spiritueux de malt qui avait été aromatisé (pour camoufler la puissance de son alcool) avec : réglisse, muscade, cannelle, clou de girofle, graine de carvi, gingembre, raisin sec, datte, sucre de canne, etc.
Et c’est la version irlandaise de ce “cordial” qui était la plus prisée.

elle ne peut être fabriquée nulle part ailleurs dans cette perfection.

James Howell – 1634

Dans le livre rouge d’Ossory, rédigé au 14ème avec l’ajout de quelques notes sous Elisabeth I (1533-1603), il est mentionné que le usquebaugh irlandais est le préféré de la reine.

Ambrose Cooper donnera des recettes de Usquebaugh dans son The Complete Distiller en 1757, avec un ingrédient servant à colorer l’eau-de-vie : le safran.

ROYAL USQUEBAUGH
(The Complete Distiller, A. Cooper, 1757)

Prenez de la cannelle, du gingembre et de la graine de coriandre, de chacun trois onces ; des noix de muscade quatre onces et demie ; du macis, des clous de girofle et des cubèbes chacun une once et demie. Brulez ces ingrédients et mettez-les dans un alambic avec onze gallons d’eau-de-vie, et deux gallons d’eau ; et distillez jusqu’à ce que les saints commencent à monter ; attachez quatre onces et demie de safran anglais lié dans un tissu à l’extrémité du ver. Prenez des raisins secs dénoyautés de quatre livres et demie, des dattes de trois livres, de la racine de réglisse coupée en tranches de deux livres ; digérez-les douze heures dans deux gallons d’eau ; filtrez la liqueur claire, ajoutez-la à celle obtenue par distillation, et dulcifiez le tout avec du sucre fin. (Cela fait 10 gallons.)

The Complete Distiller – 1757

Au fur et à mesure que l’art de la distillation progresse, l’eau-de-vie composée et aromatisée cède sa place aux produits non modifiés (largement amélioré au cours des années 1730). Whisky (parfois Usky) sera le mot pour ses spiritueux purs.
Après 1800, on n’entendra pratiquement plus parlé de ces usquebaugh aromatisés.

Dans le premier dictionnaire anglais, rédigé par le Dr Johnson en 1755, l’usquebaugh est défini comme  » eau-de-vie distillée composée qui tire sur les aromates « 

C’est pourquoi, même si usquebaugh à aujourd’hui survécu comme synonyme folklorique de whisky : ces deux produits n’ont jamais rien eu en commun.

le chat et la souris

Le gouvernement britannique à longtemps était au pouvoir en Irlande.
À une époque où il était à court d’argent en raison des nombreuses guerres dans lesquelles il était engagé, taxer l’alcool avait la double intention de collecter des fonds (réussi) et de freiner les excès endémiques (pas réussi) ; les distillateurs irlandais se sont retrouvés à payer des droits sur tout, de la quantité d’alcool qu’ils produisaient à la capacité de leurs alambics.

En 1608, Lord Deputy impose des Whiskey patents (licences) et taxe les distillateurs pour rapporter de l’argent à la couronne anglaise. Plein d’irlandais distillent sans licence.
En 1661, les patents sont abolies mais remplacées par une taxes sur les gallons distillés, sans plus succès.

En 1779, il y a 1152 distilleries enregistrées en Irlande.

En 1779, le commissaire aux recettes, John Beresford (1738-1805), présente un projet de loi ayant pour but de réduire les coûts des accises, devant gérer de très nombreuses petites distilleries. Ce projet deviendra une loi phare en 1785 (19 & 20 Geo.3, c.12) dont une caractéristique est l’encouragement des opérations de distillation à grande échelle, avec un rabais sur les grands alambics.

En 1785, la malt tax est voté. C’est l’orge malté qui est maintenant taxé … C’est là que le modèle type du whiskey irlandais, mélangeant orge malté et non-malté, va émerger.

En 1815, le Corn Laws Act est votés par gouvernement britanniques. Une loi protectionniste interdisant l’importation de céréales dans le royaume britannique.

Le maïs, grain bon marché historiquement importé et utilisé dans le mélange de céréale (mash bill) des whiskeys irlandais, est retiré des recettes.

En 1822, il y a 40 distilleries enregistrées en Irlande.

Les petites distilleries n’ont pas l’argent pour investir dans de grands alambics et seuls les plus grosses ont survécu.
Elles font un whiskey qui s’éloigne de ses débuts, sans maïs, avec la main légère sur le malt coûteux. En plus du mélange d’orges, un peu d’avoine (≈10%) et de seigle (≈1%) rejoignent souvent la composition.


En 1823, le parlement vote une loi taxant le whiskey produit, qu’importe son pourcentage de malt.
En 1843 (15 mai), les corn laws sont abrogés et le maïs (corn), moins chère que l’orge, rejoins les mélanges des whiskys irlandais et écossais (qui commencent à faire énormément de blends).

Vous l’aurait compris, le gouvernement était fermement décidé à taxer le whiskey.
De quoi nous rappeler la musique “Taxman” des Beatles (1966) :

Si vous conduisez une voiture, je vais taxer la rue. Si vous vous promenez, je vais taxer vos pieds.

The Beatles

incorruptibles irlandais

En 1827 est mise au point la distillation continue (alambic à colonne), donnant un alcool plus pur, plus rapidement.
En 1831, Aeneas Coffey, un officier des accises irlandaises à la retraite, améliore et brevète le principe de distillation continue.


Comme on dit, « l’industrialisation précède la distillation », mais les irlandais trouvent plus noble de continuer à produire un whiskey en pot still pendant que leur voisins écossais passent aux whiskys de grains produits en alambics Coffey.

Les irlandais ont une seule malterie, the Malting Company of Ireland Ltd, ouverte en 1858 et encore en service aujourd’hui.

En 1887, Alfred Barnard recense 28 distilleries irlandaise en activité.
Seuls 5 avec l’alambic à colonne Coffey,  dont 4 sur 5 dans le nord industriel associé aux anglais.
La distillation continue n’a définitivement pas prise en Irlande.

la mort du whiskey

Puis vint le 20ème siècle. La première guerre perturbera les exportations, la guerre d’indépendance irlandaise séparera toutes les distilleries (à part celle du nord du pays) du Commonwealth et du grand empire britannique, les États-Unis voteront la prohibition (fermant ce marché), après la grande depression la seconde guerre mondiale viendra enfoncer le clou.
En 1950, l’industrie est en difficulté. Il y a moins de 3 millions d’irlandais (moins de la moitié de la population de New York), et donc un marché interne trop petit pour soutenir les distilleries 4 distilleries encore sur pieds.
Cette réduction désespérante des recettes conduit à l’introduction d’alambics continus et de blended whiskeys … à l’image de leurs voisins écossais pour qui tout réussi. Cette copie fait disparaitre le seigle et l’avoine du mélange des whiskeys irlandais, les écossais préférant le maïs et le blé dans leurs whiskys de grains.

la coalition des “big four”

En 1966, trois des quatre distilleries survivantes unissent leur forces sous le nom de l’Irish Distillers Ltd (IDL).

Jameson & Son, John Power & Son et Cork Distilleries Co

En 1972, Bushmills, la quatrième distillerie, rejoint l’IDL.
En 1988, le groupe Pernod Ricard rachète l’IDL : 100% de la production du whiskey irlandais appartient à ce géant.
En 1989, la distillerie Teeling ouvre ses portes dans Dublin. Pernod-Ricard aura eu le monopole qu’un an.

Le whiskey irlandais retrouve son élan dans les années 2000 grâce à cette coalition qui leur aura permis de mettre en place plus d’exportations.

Aujourd’hui, il y a 25 distilleries en Irlande, et d’autres en préparation.

ce qu’il fait le whiskey

Un whiskey Single Pot Still (anciennement Pure Pot Still) doit être distillé dans un alambic charantais (pot still) à partir d’un moût contenant au moins 30 % d’orge maltée et 30 % d’orge non maltée, les autres céréales non maltées étant également autorisées (blé, maïs, seigle, avoine).
Les proportions habituelles sont généralement de 60% d’orge non-maltée et de 40% d’orge maltée.

le malt est essentiellement de l’orge qui a été amenée à germer prématurément en une véritable plante. Pour réaliser cette supercherie, le malt abrite l’orge trempée dans l’eau, puis étale les grains sur un sol en pierre pour qu’ils germent. Au cours de ce processus, des enzymes spéciales décomposent les barrières à l’amidon de l’orge, puis décomposent cet amidon en sucre fermentescible.

A Glass Apart: Irish Single Pot Still Whiskey, Fionnán O’Connor – 2015

Ce malt est fait à partir d’orge de printemps à deux rangs, ayant une teneur en protéines plus faible que l’orge à six rangs, et par conséquent, fermente plus facilement. Il a aussi un plus forte teneur en amidon et une enveloppe plus fine.

Ce whiskey est souvent distillé 3 fois et vieilli en fût de chêne américain (Quercus Alba) ou chêne européen (Quercus Robur ou Quercus Petraea). Ce bois va apporter des congénères tels que les esters, lactones, phénols, etc. responsables du goût :

  • Esters : arômes fruités
  • Lactones : boisé, noix de coco, épices
  • Phénols : tanins, arômes fumés, amertume
  • Terpènes : agrumes, notes florales
  • Aldéhydes ; épices, boisé, vanilline, herbe

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