journée internationale du pisco sour

Le premier samedi de février, c’est l’International Pisco Sour Day, l’occasion de parler de cet alcool très peu compris, guère utilisé au-delà de ce cocktail classique, et de faire le point sur sa paternité : Pérou ou Chili ?

amérique du sud andine

“Andine” pour “Cordillère des Andes”.
L’Amérique du Sud andine est la région qui s’étend de l’extrémité nord à l’extrémité sud du continent.
Les montagnes commençant au Venezuela, traversent la Colombie, l’Équateur, le Pérou et la Bolivie avant de se terminer à la pointe sud du Chili.

C’est cette région qui nous intéresse, car elle est principalement connue pour le Pisco : l’eau-de-vie de raisin produite au Pérou et au Chili.
Des quantités importantes d’eau-de-vie de canne à sucre sont produites dans cette région, ainsi que des spiritueux d’agave au Venezuela et en Colombie, ou encore des apéritifs et digestifs de style européens en Argentine.

colons espagnols

La distillation est arrivée en Amérique du Sud après 1532, lorsque les espagnols ont commencé leur invasion et destruction de l’empire Inca. Ils sont arrivés avec leur “frutos de Castilla” (cultures ibériques) avec lesquels ils avaient l’intention de remplacer les “frutos de tierra” (cultures locales). Outre le blé et l’olive, il s’agissait du raisin Listán Prieto (cépage rouge espagnol appelé Mission en Californie, Créole Petite en France et Negra Corriente au Pérou) largement planté au Pérou et en Bolivie entre 1530 et 1540.
Avec la création de la vice-royauté du Pérou en 1542, l’Espagne plie toutes les zones qu’elle contrôle sous une seule administration centrée à Lima (Capitale du Pérou). En 1573, la domination espagnole à traversée la Cordillère jusqu’aux pentes Est (Bolivie), la vigne en a fait de même.

aguardiente

“Eau-de-Feu” est un terme générique utilisés pour les spiritueux où l’espagnol est parlé. C’est l’ancien terme pour désigner les eau-de-vie, à l’image d’Aqua Vitae ou Arrack. La cachaça du Brésil, par exemple, est familièrement connue comme Aguardente de caña. (aguardente s’écrit sans “i” en portugais).

Au milieu des années 1600, l’aguardiente de uva à base de raisin était largement produit pour l’usage local et pour l’exportation illicite (le gouvernement visait à protéger son monopole des ventes de spiritueux en interdisant la distillation).
Cet aguardiente a évolué en Pisco au Pérou et Chili, en Singani en Bolivie et en Aguardiente de Catamarca au nord de l’Argentine.
Leurs points communs : Aromatique, floraux et généralement non vieillis.
Leurs particularités : les chiliens utilisent les alambics hybrides, les boliviens n’utilisent que le cépage muscat d’Alexandrie (Moscato de Alejandria) pour leur Singani qui doit être distillé à 1600m d’altitude minimum. Les péruviens distillent au degré de l’embouteillage (sans dilution après distillation) et utilisent parfois l’alambic Falca.

Leurs points communs ? Tous sont distillés à partir de cépage Listán Prieto , sont principalement utilisés pour fortifier le vin voué au stockage ou trajet. Ils sont stockés et expédiés dans des botijas en terre cuite (là où il y peu d’arbre, il y as peu de barils).

Botijas devant l’hacienda Caravedo (la plus ancienne)

de caña ?

Les espagnols avaient fait pousser de la canne à sucre dans leurs îles des Caraïbes.
Dès 1549, il y avait 4 trapiches (moulins à canne) en activité au Pérou. À la fin du 16ème siècle, le Pérou a beaucoup de plantations sucrières. L’eau-de-vie de canne à sucre commence à être distillée.
Avec les écrémages indésirables des pots, où le jus de canne était cristallisé (le cachaza), il font de l’aguardiente de caña.
La mélasse n’était pas utilisée car elle était expédiée en Europe.
Cañazo au Pérou, le Guaro en Colombie et Équateur, et bien d’autres variétés. Le Venezuela préfère le Cocuy, à base d’agave.

Trapiche (moulin à canne)

paternité du pisco

Eau de vie caractéristique du Pérou et du Chili ; descendant de l’aguardiente de uva (raisin).
Le Pisco Sour venant de Lima, et la ville de Pisco étant péruvienne, la majorité s’accorde à dire que c’est le Pérou le père du Pisco. Le Pérou cherche carrément à interdire au Chili d’appeler leur spiritueux national Pisco, mais c’est comme si l’Irlande cherchait à empêcher l’Écosse d’appeler leur spiritueux “whisky” : ça n’a pas de sens, et c’est plus compliqué que ça.

Les Pisco, c’est toutes les eaux-de-vies de raisins faites sur la côte ouest du l’Amérique du Sud.
Plus précisément, sur une bande de 5 régions au Pérou (entre Lima et le Chili) interrompue par les 800km2 arides du désert Atacama (Chilien depuis guerre du pacifique, 1879), puis les deux provinces chiliennes au dessus de Santiago.

Les premiers alambics enregistrés dans la région nous viennent des testaments de vignerons :
Maria de Niza, de Santiago (Chili) en 1586
Pedro Manuel, de la vallée d’Ica (Pérou) en 1613.

Le testament chilien mentionne un alambique de sacar aguardiente (un alambic pour tirer l’aguardiente).
Le testament de péruvien mentionne una caldera grande … con su tapa e canon (une grande bouilloire, avec son couvercle et son tube).
Côté Chili, il s’agit d’une pièce spécialisée, avec tête fixe et condenseur. De telles ferronneries fines pouvaient être trouvées dans le sud, les espagnols ayant trouvé des gisements de cuivre près de Coquimbo et la région était connue pour ses chaudronniers.
Dans le nord du désert Atacama (Pérou), les distillateurs fabriqués leur propres alambics en utilisant le moins de cuivre chilien, coûteux. Cette version simplifiée deviendra l’alambic Falca, caractéristique du Pérou.

En gros, la preuve la plus ancienne vient du Chili, et fait mention d’équipements plus professionnels.
Mais alors, pourquoi une ville péruvienne a donné son nom à cet alcool ?

depuis le port de pisco

Au 17ème et 18ème siècles, les deux aguardientes évoluent parallèlement.
De nouveaux raisins sont introduits dans les 2 régions et les vignes s’hybridaient aux différents climats où elles avaient été plantées :
Au Pérou (plus bas en altitude et plus humide) les raisins sont en vallées.
Au Chili (plus haut, sec et ensoleillé) les raisins sont dans les vallées de d’altitude.
Au Pérou, la majeure partie de la distillation est faite par des ordres monastiques catholiques pour l’exportation, via le port de Pisco, au nord de la vallée d’Ica, même les aguardiente chiliennes partaient de ce port (on commence à comprendre d’où vient le nom Pisco).

Port de Pisco, 1615

La décennie de 1820, le Chili et le Pérou obtiennent leur indépendance.
A ce moment, « l’aguardiente de Pisco » a commencé à acquérir une réputation et un marché au-delà de l’Amérique latine.
En 1826, un “jar of Pisco de Italia” solitaire atteint Liverpool. Son nom commence à être systématiquement abrégé en Pisco.
En 1864, un journal de San Francisco explique que les mineurs aiment boire du Pisco Punch, “une eau-de-vie à base de raisin étant fait à Pisco, au Pérou”.
A l’exposition chilienne des arts et des industries (1872), les producteurs identifient explicitement leur produit comme Pisco (et s’avouent vaincus).

terroir

En gros, au nord et au sud d’Atacama.
Les 5 régions péruviennes sont : Lima, Ica (majeure partie), Arequipa, Moquegua et Tacna.
Les 2 provinces chiliennes sont Atacama et Coquimbo (majeure partie) depuis 1931.
Entre 1860 et 1931, le centre du Chili fait aussi du Pisco, l’air d’appellation est protégé qu’en 1931, et les eaux-de-vie du centre du pays doivent s’appeler Coñac.

ingrédients

Le raisin le plus ancien est le Listán Prieto (Créole petite), il est appelé Negra Corriente au Pérou et País au Chili.
À partir de 1700, de nouveaux cépages sont introduits dans les deux régions :
L’aromatique Italia (évolution du Moscatel de AlejandriaMuscat d’Alexandrie),
Le Moscatel de Grano Menudo, ou Torontel (Muscat blanc à petits grain) encore plus ancien et aussi aromatique.
Le cépage Mollar (Mollard), un cépage andalou moins aromatique.

Un croisement sera fait entre le Negra Corriente et le Mollar, donnant le célèbre Quebranta, non aromatique.

– 8 cépages autorisés au Pérou, et sont divisés en deux groupes distincts : les aromatiques et les non-aromatiques.
Le premier groupe comprend les variétés Italia, Moscatel, Albilla et Torontel. Celui des non-aromatiques comprend Negra Criolla, Mollar, Uvina et Qebranta, ce dernier étant le plus répandu dans la vallée d’Ica.
– 13 cépages autorisés au Chili (seulement 5 sont d’usage courant)
Voici un petit arbre généalogiques des cépages utilisés pour le Pisco :

distillation

Pérou :
Une seule distillation en Pot Still (parfois falca),
Laisser couler les queues jusqu’à ce que la preuve de mise en bouteille soit atteinte car aucune eau ne peut être ajoutée !
Ne peut être vieilli en bois. Parfois dans des botijas en argile.

schéma d’un falca

Chili :
En Pot Still mais avec possibilité de connecter les alambics à des colonnes rectificatrices courtes de type Armagnac pour nettoyer une partie du distillat.
Le résultat est dilué au degré d’embouteillage.
Peut-être vieilli en bois mais ne l’ai généralement pas (fûts en rauli, un hêtre méridional du sud du Chili).

lire une bouteille

Puro = à partir d’un seul cépage, celui écrit sur la bouteille (ex : Italia, Quebranta, etc).
Acholado = à partir d’un mélange d’un cépage aromatique et d’un non aromatique.
Mosto Verde = distillé à partir de moût de raisin partiellement fermentés.
Au Chili, le Artisanal  est distillé sur des raisins foulés et reposé dans des cuves de rauli (hêtre).
Selon son temps de maturation en fût, le Pisco chilien à deux noms : guarda (180 jours) ou envejecido (360 jours).

falca

Falca est une version simplifié d’alambic encore utilisé au Pérou.
Il ne nécessite ni une grande quantité de cuivre, ni d’artisan qualifié pour le travailler.
Une feuille de cuivre est martelée dans une bouilloire (la paila), celle-ci est ensuite enfermé entre de la brique et recouverte de stuc. Elle est chauffée à la flamme et recouverte d’un dôme de brique. La sortie de l’alambic plonge dans un bain d’eau (l’alberja).

l’intérieur d’une falca, à la hacienda la Caravedo, la plus ancienne du Pérou (1684)

boissons mélangées

En 1900, les idées nord-américaines en matière de mélange de boissons avaient pénétré à peu près partout en Amérique du Sud.
En 1898, un correspondant du Brooklyn Eagle a bu un Manhattan à Punta Arenas (Patagonie).
On a mention d’un San Martín à Buenos Aires, en Argentine (1890).
Le Rum Coca était populaire au Venezuela en 1911 et des boissons comme le Chilcano au Pérou et le Chuflay en Bolivie utilisent de la ginger beer.

Le punch, bien avant les boissons individuelles, était largement consommé au 18ème siècle, sous le nom de ponches d’aguardiente. (enregistré au Pérou en 1791 et au Chili en 1822)
Le cocktail le plus populaire d’Amérique andine est bien sûr le Pisco Sour, et voici son histoire :

pisco sour

Le Pisco Sour, composé de Pisco, de jus de lime, de sucre et de blanc d’oeuf est devenu populaire au Morris’ Bar à Lima (Pérou), que Victor Morris a exploité entre 1916 et 1929.
Victor « Gringo » Morris (1873-1929), était un Utahn qui avait passé plus de dix ans au Pérou à travailler pour une compagnie de chemin de fer avant d’y ouvrir son bar américain.

Mais, un livre de cuisine péruvien publié en 1903 contient une recette de “cocktail” comprenant les même ingrédient que le Pisco Sour :

Un clara de huevo, una copa de pisco, una cuchardita de azúcar fina y unas gotas de limón á voluntad, os abiriá un buen apetito. . . . Todo esto se bate en una cocktaslera [sic] ó ponchera, hasta formar un ponchesito.


(An egg white, a cup [2 oz] of pisco, a teaspoon of fine sugar and a few drops of lime juice to taste [½ oz] will open up a good appetite for you. . . . All this is shaken in a cocktail shaker or punch shaker until it makes a nice little punch.)

SOURCE: S. E. LEDESMA, NUEVO MANUAL DE COCINA A LA CRIOLLA: COMIDA, 1903. 

Jusqu’aux années 1960, le Pisco Sour est resté en grande partie une spécialité locale, bien que très appréciée par les voyageurs étrangers comme Charles H. Baker Jr. qui la qualifie “de loin la meilleure invention de boisson dans le sud de la zone” en 1951.

En 1960, le restaurateur New Yorkais Joe Baum (à qui on doit le Four Seasons et le Rainbow Room où Dale Degroff a travaillé) l’inclus à la carte de son Fonda Del Sol sous le nom de Pisco Sawer : le mythe est lancé.

pisco punch

Duncan Nicol (1852-1926), alias “Pisco John” était un barman écossais qui a dirigé le Saloon Bank Exchange à San Fransisco entre 1883 et 1920 (prohibition).
La ville sortait de sa période de ruée vers l’or et était en plein effervescence. Ce saloon était un endroit pour gentlemen où les femmes avaient le droit de boire avec les hommes (une rareté pour l’époque), mais il y avait des règles strictes comme “pas plus de 3 verres par personne”. Ce bar était connu pour son Pisco Punch dans les années 1890.

Saloon Bank Exchange

Le Pisco était importé à San Francisco depuis 1822, avec la ruée vers l’or, le punch faisait partie de la culture de la région.
Pisco John a modifié le modèle classique et en a fait quelque chose de différent, et donc culte.
Une publicité du Bank Exchange de 1903 fait la promotion de ce Pisco Punch (la même année que la première mention du Pisco Sour).

Ce qui nous intéresse avec ce punch, c’est les critiques qu’on en faisait dans les journaux.
Des commentaires disait de la recette qu’elle était exaltante et propulsive.
La journaliste Pauline Jacobson, qui a visité le bar en 1912, a écrit :

une autorité prétend qu’un punch fera combattre un éléphant par un moucheron

Pauline Jacobson,

D’autres soutiennent qui les “fait flotter dans la région de la félicité du haschish et de l’absinthe”.
Une nécrologie de Nicol décrit son punch comme “boisson ambroisienne qui adoucissait toutes les aspérités, apaisait toute angoisse et l’esprit blessé, stimulait l’imagination et semblait rendre le monde entier apparenté”.

Nicol faisait sa préparation de base tous les matins, loin des regards, et a emporté sa recette dans la tombe.
Ceux qui ont travaillé avec lui, ou ses amis, comme Emile J. Pierron ou John Lannes ont donné deux recettes (en 1941 et 1959) similaires du Pisco Punch, ce qui les crédibilisent. Mais ils ont peut-être oublié un petit ingrédient secret que Nicol utilisait pour donner à ses clients de tels effets ? Le genre d’ingrédient qu’il n’aurait pas eu intérêt à divulguer …

Il y a un article de 1864 qui décrit les expériences d’un homme buvant un boisson “à haute tonalité” non identifiée au Bank Exchange Saloon. Il décrit des symptômes “exaltants” similaire à la consommation de cocaïne.
Les sirops contenant de la cocaïne étaient populaires entre 1860 et 1890, Vin Mariani utilisait aussi des feuilles de coca du Pérou dans son vin tonique, et Coca-Cola les utilisait également dans ses premières productions.
Les concoctions contenant de la coca sont déclarées illégales en 1914, mais qui sait ce que faisait Duncan Nicol comme prémix chaque matin à l’abri des regards ?

Faire un sirop riche de 500g de sucre et 250ml d’eau. Peler et épépiner un ananas, le couper en rondelles, couper chaque anneau en 6-8 quartiers, et les faire mariner toute la nuit dans le sirop. Filtrer les morceaux et réfrigérer. Mélanger 750ml de Pisco péruvien (style Italia) et 250ml de sirop d’ananas en bouteille. Pour un punch, mélanger avec de la glace concassée 60ml du mélange, 20ml de jus de lime et 45ml d’eau. Filtrer dans une grande coupe réfrigérée et ajouter un morceau d’ananas.

Recette tirée de la lettre de John Lannes, ayant travaillé avec Nicol – 1941.

quelle bouteille acheter ?

On finit par le plus important si tu veux réaliser Pisco-Sour et Pisco-Punch : l’ingrédient homonyme !

Les recettes sont formelles : Le cépages Italia (aromatique) est le mieux ! Donc oublions le Pisco Barsol Quebranta premier prix (30€) car le cépage Quebranta, bien qu’historique et majoritaire, n’est pas aromatique.
Dirigeons-nous vers la plus ancienne distillerie du Pérou, l’Hacienda la Caravedo, en fonction dans la vallée d’Ica depuis 1684.
Il a ses propres vignobles, utilise encore des alambics Falca et son maitre distillateur, Johnny Schuler (en place depuis 2010) était membre de la National Tasters Guild of Peru. Leur Marque Potron a gagné plein de lauréats avec leur Mosto Verde (60€).

Santé chers Bibules.

Votre échanson.

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