mais qui a tué le bistrot ?

La France comptait au début du siècle plus de 500’000 bistrots, leur nombre a chuté à 200’000 dans les années 1960, avant de descendre à 38’800 en 2016.

sources : INSEE et France Boisson

L’image d’Épinal de la France rurale contient invariablement les mêmes éléments : une place, un clocher, un bistrot. Mais le bar café disparait. C’était pourtant une véritable institution dans les villages. Un patrimoine populaire ayant eu son âge d’or avant d’être en voie d’extinction. Chaque année, 2’200 débits de boissons ouvrent en France, et 2,700 mettent la clé sous la porte. Il y a 70 ans, le pays comprenait 15 fois plus d’établissements. Il n’en reste que 7% bon sang ! Les français ont perdu l’habitude d’aller au café pmu, car ils ont disparu. Et cette disparition est beaucoup plus visible en campagne. Dans certains villages, de jeunes personnes se lancent dans l’aventure en ajoutant service de restauration, de presse ou de point relais …

qui mange les restes du bistrot ?

Starbuck, Columbus ou même la Brioche Dorée pour citer un exemple français, ont écrasé et remplacé le concept de café de proximité. Ces chaînes à l’américaine ont suppléé convivialité et authenticité par efficacité et rentabilité. Là, tu me diras, il ne s’agit que de café et non de produits alcoolisés : ces franchises ne sont pas de concurrentes directes pour les bars. Bah si. Imagine qu’une boutique, que les gens trouvent exotique juste parce qu’elle est importée d’Amérique, vend la moitié de tes produits proposés … Sans s’encombrer avec la licence de vente d’alcool et en achetant en quantité industrielle leur matière première.

mais l’ont-ils tué ?

Dire que la méchante culture américaine a changé notre vision du café avec son soft power serait incomplet et complètement complaisant. On dit parfois que le bistrot est l’âme du quartier ou du village. Et il est diffcile de tuer une âme. Si ces âmes en seine peinent à retrouver preneurs, c’est pour trois grandes raisons : réglementations / fonds / pétitions*
* Je fais allusions aux pétitions de quartiers, souvent révoltés par les nuisances sonores des établissements ouverts après 20h.

réglementations
En 2008 arrive l’interdiction de fumer dans les lieux publics, suivie de près par la loi Bachelot interdisant aux moins de16 ans d’entrer dans un bar. Et si certains veulent faire café-spectacle pour faire venir les gens, il faut une licence entrepreneur de spectacle pour proposer plus de six spectacles par an, et ce même si on est un café-restaurant.
fonds
Le sésame pour ouvrir un bar : la licence IV. On ne peut plus en créer, il faut la racheter ou la louer. Et dans certaines zones, le prix peut grimper jusqu’à 20’000 euros. A cet investissement s’ajoutent les charges. Et là où les loyers ont augmenté, les prix appliqués ont suivis de près. Sans parler de l’augmentation du prix des matières premières (café) et de la taxation de l’alcool. Jadis carrefour de la société, le bistrot est aujourd’hui devenu un luxe qui ne pourrait être réservé qu’aux riches et aux visiteurs.
pétitions
Selon l’observatoire des territoires, la part des «plus de 65 ans» progressait de 1,9%/an entre 2008-2013 alors que la population totale augmentait seulement de 0,5%. Un vieillissement plus prononcé dans les espaces peu denses pour deux raisons : vieillissement de la population résidente, associée à l’exode des jeunes vers les bassins d’emploi. Et les seniors (33,1% de la France rurale) font partis des associations, et aiment le calme …

Dans les régions touchées gar désertification, ce n’est pas rentable. Les collectivités locales proposent des aides : Exonération fiscale, subventions, conseils, etc. Mais si les exonérations fiscales et les subventions sont essentielles elles ne font pas tout. Il faut aussi que le bistrot se réinvente : manger local, animation, autres services manquant comme tabac et épicerie.

les conséquences de la loi

Depuis 1914, la ventre de licence IV est limitée.
Quand un établissement ferme ou fait faillite, sa licence disparait. Il faut donc la bichonner. Mais avant, c’est le parcours
du combattant:
1. Trouver sa licence
2. S’inscrire au registre du commerce
3. Payer le RSI
4. Trouver des murs


Loi tabac
On a fait sortir les clopes et fait renter les ordinateurs : le bar est devenu un lieu de travail.
Loi Bachelot
Dans un village c’est dramatique, car c’était le seul lieu où les gamins rentrés du foot pouvaient croiser les vieux jouant aux cartes.
Taxations
Maintenant quand on va boire l’apéro, on en prend qu’un, alors qu’avant c’était plusieurs tournées.

le troquet est le havre de décélération de la société, le lieu où on s’arrête.

Durant son âge d’or, le café parisien est le cœur même de l’exode rural pour que les communautés s’y retrouvent. Tous les chemins partent du calé et y ramènent tant qu’il y a des cafés, s’il n’y a plus de halte, le chemin tourne en rond et ne mène plus nulle part.

Laurent Bihl, historien de la caricature et du 19ème siècle

Avec le temps, ces lieux de proximité et de convivialité se sont vidés. Et à la crise s’est ajouté le traumatisme. Les terrasses parisiennes se sont vidées après novembre 2015. Selon Synhoract, entre 10 et 20% de baisse de fréquentation dans les bistrots depuis cette date. -40% dans les quartiers Est où avaient eu lieu les attentats encore quatre ans plus tard …

lieu de rencontre, de révolte et d’éxcès

Josette Halegoi, auteur de « une vie de zinc » rappelle que les inspirateurs de la révolution française se retrouvaient dans des bistrots; l’histoire de notre pays est intimement liée à ces lieux. Le café du rat mort a vu les premières heures du lesbianisme où les femmes revendicuaient leur homosexualité en allant boire des absinthes. Le café à une certaine heure était une vitrine de revendications sociales. La grève générale du 7 juin 1936 a repris par une grève des garçons de café. Avant les nuits de la démocratie (par ex.), on se contentait de débattre dans les bars. Le bistrot est l’Agora à la française. Un lieu excessif et cathartique où on vide le trop plein : un lieu essentiel à la paix sociale en bref. Dans nos campagnes, ils ferment les uns après les autres. La faute à des lois trop dures ? A des clients trop loins ? A des prix trop hauts ? Les bistrots d’habitués ont fermé et ont laissé prospérer quelques bistrots de passage. Mais on est censé s’y arrêter et non juste passer. Après tout, ce qui différencie la brasserie du bistrot, c’est censé être la proximité,

lache un com'

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *