la scandaleuse histoire du gin

Le gin est l’une des catégorie de spiritueux les plus importantes sur le plan historique et commercial.
Il est fabriqué en aromatisant des spiritueux neutres avec des baies de genévrier et d’autres plantes, principalement par distillation, mais parfois par infusion. Il s’agit d’une imitation britannique du Genièvre hollandais dont les origines ne remontent qu’à la fin du 17ème siècle. Mais alors ? Qu’était le gin avant le gin ?

histoire

On pourrait écrire un livre sur le sujet, certains l’ont fait.1
Il s’agit ici d’être concis.
1 Dave Broom – Gin, the Manual, 2018

genièvre, genever, jenever, jeneva

Il faut savoir, pour comprendre pourquoi ces petites baies bleues que l’on trouve dans des résineux sont devenues l’ingrédient phare d’un des spiritueux les plus vendu au monde, que la baie de genièvre était le médicament de référence ai 12ème siècle, que ce soit pour la digestion, les maux et douleurs ; mais aussi un arôme et un conservateur.

1245L’encyclopédie Liber de Natura Rerum, du prêtre belge Thomas Van Cantimpré, mentionne que les baies de genévrier « sont cuites dans l’eau de pluie ou dans le vin comme médicament pour l’estomac ».

1266 – L’écrivain hollandais Jacob Van Maerlant donne la recette d’un « bon remède contre les crampes abdominales concocté à partir de baies de genévrier bouillies dans du vin » dans son Der Naturen Bloeme .

1349 – Une épidémie de peste touche les Pays-Bas et conduit à une utilisation généralisée du genévrier, comme désinfectant.
Les médecins de la peste placent des baies de genévrier dans le bec de leur masque « nez d’oiseau ».

des baies de genévrier étaient placées dans « le bec » des fameux masques

1351 – Le belge Johannes Van Aalter décrit la fabrication d’une aqua-vitae (eau-de-vie) médicinale à base de vin et de baies de genièvre. Une information importante : aux débuts, l’eau-de-vie utilisée était faite à base de raisin.

1495 – Une recette intitulée « faire du vin brûlé » (Gebrande Wyn Te Maken) mentionne une distillation semblable à celle du vin français (pour le Cognac), avec l’ajout d’épices et de baies de genévrier.
Le vin français était donc recommandé pour les distillats médicinaux, car considéré comme de qualité supérieure.

1572 – Le Professeur Sylvius de Bouve, fondateur de l’université de leiden, ajoute de l’huile de genévrier à du Moutwijn (vin de malt distillé) et le vend.

1575 – La famille Bolsius installe sa distillerie à Amsterdam et raccourci son nom : ce qui fait de Bols la plus ancienne marque distillée au monde.

1585 – Des soldats anglais sont envoyés par la reine Elisabeth I pour aider la révolte hollandaise protestante contre Philippe d’Espagne. Les anglais découvre ce Moutwijn aromatisé au genévrier et le surnomme même « the dutch courage« .

1588 – Un influant manuel de distillation allemand (Van Seeckere seer costelijcke wateren) stipule que le grain (orge, seigle, etc) remplace le raisin pour la fabrication d’alcool récréatif.

1602 – Création de La Compagnie Néerlandaises des Indes Orientales (VOC).
Après le passage de l’usage médicinal à récréatif, ce vin de malt2 aromatisé au genévrier devient la boisson nationale des Pays-Bas, et devient un pilier de l’influence néerlandaise, accompagnant leur marine à l’autre bout du monde.
2 Le vin de malt, ou vin de grain, n’a rien à voir avec le vin. Il s’agit d’une eau-de-vie de céréales, appellée « korenwijn » dans la Hollande du 15ème siècle, produite en distillant trois fois du moût de céréales (orge, maïs, seigle, blé).

1672 – Le dictionnaire de Van Dale répertorie la première mention connue du mot « Genever ».
Il existe plusieurs orthographes pour cet alcool : Genever, Jenever, Jeneva, etc. Le mot Jenever vient de Junipérus communis, le latin pour Baie de Genièvre, l’autre orthographe, Genever, vient du français Genévrier.

1688 – Un roi d’origines hollandaises monte sur le trône anglais, Guillaume d’Orange (Willem of Orange).
Les liens commerciaux entre les Pays-Bas et l’Angleterre, conduisent à une énorme demande de Genever en Angleterre.

1689 – En plein conflits religieux et politiques avec la France (guerre de neuf-ans), les anglais, friands de Brandy français (Cognac) dans leur punch, ne peuvent plus en faire importer.
Le roi Willem (Guillaume d’Orange) fait passer l’Act for encouraging the distilling of Brandy and spirits from corn.
Une loi visant à développer l’industrie de la distillation de céréales comme aux Pays-Bas, et aider l’agriculture.

mother’s ruin

Mettez une pièce sous la patte du chat et du gin vous sera illégalement servi

The Gin Craze désigne la période où le gin devient populaire auprès des classes ouvrières londoniennes, cette vogue créera une épidémie d’ivresse et un certains nombres de mesures législatives.

1690 – Les anglais commencent donc à faire leur propre « Geneva », qu’ils abrégeront bientôt en « Gin ».
La production est de 500’000 gallons/an.

1713 – La production est de 2’000’000 gallons/an.

1714 – La première utilisation écrite du mot « gin » apparaît dans La Fable des abeilles de Bernard Mandeville.

1725 – La titre de « rectifier » (redresseur) est attesté. Nous y reviendrons très vite.

1729 – À un moment ou la production est de 4’300’000 gallons/an, le premier Gin Act est voté, augmentant les droits de douane.

Arrêtons-nous un instant, car ces chiffres sont alarmants.
On dirait que l’acte d’encouragement à la distillation de céréales à bien marché. Trop bien pour que ça dure.
Concurrence entre les distillateurs > nivellement de la qualité vers le bas > gins bons marchés > arrivée dans les bidonvilles.
Une grande partie de l’alcool de maïs anglais est distillé à partir de lie de bière ou de graines endommagées par l’eau salée.
L’arôme n’est pas toujours assuré par du genévrier, mais souvent par de la térébenthine, voir parfois de l’acide sulfurique.
On est loin de l’original hollandais, sain et artisanal, à base d’orge et de seigle.
Dutch Gin = Classy / English Gin = Cheap.
Reprenons.

1733 – Le deuxième Gin Act remplace le premier, mal conçu. Le but est de mettre fin à la vente dans la rue.

1734 – Un événement tragique attire l’attention du public et provoqué un tollé : une femme nommée Judith Dufour étrangle son propre fils de deux ans et vend ses vêtements pour s’acheter de l’alcool.

1736 – Le troisième Gin Act est voté en réaction à l’incident Judith Dufour. Il est intitulé « loi relative à l’imposition d’un droit sur les détaillants de boissons spiritueuses »

1737 – Le quatrième Gin Act : permet de récompenser les informateurs.

1738 – Le cinquième Gin Act : Rend le gin quasiment hors-la-loi.

1743 – Le sixième Gin Act : Cible les distillateurs plutôt que les détaillants. L’Angleterre boit toujours 10l de gin par personne et par an.

1747 – Le septième Gin Act : Augmente les droits d’accise à payer par les distillateurs.

1751 – Le huitième Gin Act est adopté (le dernier, sou le nom de « Tippling Act »), il prévoit notamment l’augmentation des impôts, une exigences accrue sur licences et accises, etc.
Les deux grosses mesures sont :
– la séparation stricte entre distillation et vente au grand-public
– contrôle de la qualité et du titrage alcoolique

1757 – Apparition du terme Gin Cordial, proposé par les débitants de boissons. Un gin allongé et édulcoré, vendu entre 37% et 22% d’alcool.

1765 – L’Hydromètre est inventé. On peut calculer le titrage alcoolique d’un spiritueux.

1783 – La société Schweppes, connue pour avoir perfectionné l’eau gazeuse, ajoute de la quinine à son soda et le commercialise sous le nom d’Indian Tonic Water.

rectifiers

Ces deux mesures vont mener à l’essor des Redresseurs (Rectifiers) entre 1760 et 1880.
Les distilleries ne peuvent plus vendre leur produit directement au peuple.
Ils sont obligés de vendre un alcool de céréale neutre (comme un whisky non-vieilli) titrant au maximum à 61% à des revendeurs.
Les Redresseurs, comme ils étaient appelés, travaillaient ensuite cet alcool neutre pour en faire un gin « apte à la vente ».
Un gin « légal » était aromatisé avec des baies de genévriers et ne pouvait pas dépasser 44,6% d’ABV (Alcohol By Volume).
Pour réduire le taux d’alcool, le produit brut était édulcoré. Des tests sur des bouteilles de gin de l’époque trouvent 83g de sucre par litre, à titre de comparaison, une liqueur contient au moins 100g de sucre par litre.
Le gin Old Tom était moins sucré des gins sucrés (« the strongest allowed to be sold » selon les publicités) et titrait toujours à plus de 40% d’ABV avec une moyenne de 35g de sucre par litre.
Pour augmenter leurs marges, certains détaillants allongeaient le gin travaillé par les redresseurs jusqu’à un degré ridiculement bas (22% sur certains tests).

Ce Gin anglais et sucré du 19ème siècle, est connu sous le nom de Old Tom, symbolisé par un chat noir.
À Londres, les lieux de vente illégale de gin étaient indiqués avec un dessin ou une sculpture de chat noir à cette époque.
Deux articles du Notes and Queries, respectivement du 7 juillet 1860 et du 28 mars 1868, traitent des origines du nom Old Tom.
Son nom fait référence à Thomas Chamberlain, un directeur de distillerie qui gardait une qualité de gin spéciale pour ses meilleures clients. Gin haut-de-gamme popularisé par Thomas Norris dans sa Public House (taverne) de Russel Street (Covent Garden) sous le nom de Old Tom.

1806 – Le Blocus Continental de la guerre napoléonienne empêche aux anglais d’importer du genever. Les distillateurs n’ont d’autre choix que de perfectionner leur technique et faire un gin de qualité pour la clientèle aisée.

1810 – Première apparition du Old Tom dans les pages sportives d’un journal londonien, le qualifiant de « gin de qualité supérieur »

1818 – Un gin ne doit pas dépasser 47,4% d’ABV (c’est pour ça que des marques comme Tanqueray vendent encore des bouteilles à 47,3°)

1828 – Ouverture du Premier Victorian Gin Palace par Henry B. Fearon au 94 Holborn Hill.
Avec toutes ses lois cadrant sa production, le gin commence à changer d’image. Les gins palaces sont des bars-cafés carrelés et éclairés au gaz : Voir le gin dans ses endroits éclairés et bien fréquentés contraste avec les pubs de l’époque Gin Craze.

1830 – Arrivée de l’alambic à colonnes, éloignant encore plus le gin anglais de son parent hollandais (encore à l’alambic traditionnel). Le distillat de base devient encore plus pur, neutre et léger.

1861 – Le Single Bottle Act permet aux distilleries de vendre du gin dans des bouteilles en verre pour la première fois.
Fin des « Yellow Gin », légèrement vieillis en fûts.

1879 – Un gin n’a pas le droit d’être vendu à moins de 37% d’ABV. Les détaillants arrêtes de tricher en faisant leur propre réduction.

1882 – La première mention du cocktail Manhattan aux États-Unis, duquel découlera le Martinez (l’ancêtre du Martini) à base de Gin. Le public américains commence à demander des boissons plus sèches, sans édulcorant.

Les distillateurs anglais se mettent d’accord sur les plantes à utiliser pour aromatiser leur gin :
Baies de genévrier (bien sûr), coriandre, racines d’iris, angélique, et parfois réglisse, écorces d’oranges et cardamone.
Les nouveaux alambics donnant des alcools de base plus lisses, les arômes ajoutés étant réguliers, l’ajout de sucre n’étant plus nécessaire et la fourchette du degré alcoolique étant plus précise : Le modèle du London Dry Gin se cale.

l’indépendance du gin anglais

Entre 1880 et 1945, le gin sec londonien (London Dry Gin) domine le marché des spiritueux.
C’est l’eau-de-vie la plus sèche, la plus légère et la plus pure du commerce.
Le gin moderne étant désormais une simple vodka aromatisée au genévrier, c’est celle-ci qui lui volera, petit à petit, la vedette après la seconde guerre mondiale.
Le gin et ses nombreuses variantes retrouvent leur place derrière les bar au moment de la renaissance des cocktails (1987).

Gin Lane, de William Hogarth – 1751
« Gin monstre maudit, avec une fureur lourde, transforme la race humaine en proie, et entre par un courant mortel et vole la vie« 

réalisation

Trois procédés, Deux types de rentabilités :
  • 90% des gins sont réalisés par Charge Directe (Step and Boil) :
    On ajoute les plantes et aromates directement dans le GNS (Grain Neutral Spirit) généralement à 95% vol, on laisse macérer avant de re-distiller pour extraire les aromates.
  • Quelques gins utilisent la méthode de l’infusion à la vapeur (rarement à 100%):
    Pour les ingrédients les plus délicats ou volatils (sauge, menthe, etc) on évite un contacte direct avec le chaudron en cuivre.
    On place les plantes dans un panier suspendu dans le Line Arm de l’alambic (la sortie de la marmite, avant le condenseur).
  • En 2009, un gin a été fabriqué 100%en distillation sous-vide :
    On charge le GNS de plantes, mais au lieu de réaliser un step and boil, on abaisse la pression atmosphérique à l’intérieur de l’alambic pour commencer la distillation à une température inférieure à 0. Parfait pour garder les plantes fraiches.

À ces choix d’extraction des arômes, s’ajoutent un choix concernant la rentabilité souhaitée :

  • Un gin Single Fold (ou single-shot) sera mis en bouteille tel qu’il est distillé, avec seulement l’ajout d’eau pour réduire son degrés d’alcool. C’est le cas d’un London Dry Gin.
  • Un gin Multi Fold (ou multi-shot) signifie que la quantité de plantes est augmentée pour créer un concentré qui sera ensuite coupé avec du GNS (alcool neutre) et de l’eau avant d’être mis en bouteille.

Comme vous pouvez l’imaginer, un multi fold, avec un seul cycle d’alambic, peut distiller beaucoup plus de bouteilles qu’un single fold.

le goût du gin

Les aromatiques communes et leurs arômes :

  • Baies de genièvre (qui ne sont pas des baies, mais des cônes charnues) : goût de pin
  • Graines de coriandre : goût d’agrume
  • Racine d’angélique : goût sucré et musqué
  • Racine d’iris : goût et arôme de violette
  • Écorces d’agrumes : orange et citron
  • Cardamome : saveurs d’herbes, d’agrumes et d’épices.

La sainte trinité du gin est composée de Genièvre, Coriandre et Angélique, mais temps que le genièvre prédomine, on peut ajouter ce que l’on souhaite.

Certaines personnes ont une hypersensibilité aux produits appelés aldéhydes, présents dans la coriandre et également utilisés pour parfumer les savons et détergents. L’OR26A est le SNP (polymorphise nucléotidique simple) génétique qui donne à la coriandre un goût de savon chez certaines personnes.

Chaque plante aromatique apporte au gin un ensemble de molécules qui lui est propre.
Ces molécules volatiles sont connues sous le nom de Terpènes.
Les terpènes les plus courants sont Alpha-pinène, Bêta-myrcène, limonène (3 substances présentes dans les baies de genièvre).

  • A-pinène : pin
  • Sabinène : boisé, épicé
  • Limonène : agrume
  • Borneol : boisé
  • B-myrcène : balsamique, moisi
  • P-cymène : agrumes oxydés
  • Camphène : boisé
  • Cinéole : mentholé
  • Terpinen-4-ol : noix de muscade
  • Terpinène : boisé

bouteilles

Les origines de cet ingrédient étant éclaircies, parlons du produit.

Pour faire simple : le gin est une vodka aromatisée.
C’est un alcool de céréales (tout ce qui est issu de l’agriculture), neutre (non vieilli), aromatisé (avec des substances botaniques).
La baie de genièvre est le facteur commun à tous les gins. Un alcool américain ou européen ne peut pas avoir l’appellation « gin » sans l’utilisation de cette petite baie dans la recette.
Au nez, le gin est vif, alcoolisé, et rappelle la forêt en raison du genièvre.

london dry gin

Le type de gin le plus populaire.
Il s’agit de la version moderne du gin.
La mention Dry signifie qu’il ne contient pas de sucre ajouté (contrairement au Old Tom de l’époque du Gin Act).
Les aromates doivent être incorporer durant la distillation.
Il n’est pas forcément fait à Londres.

Usage : Lorsque l’on veut une forte dominante de genièvre au milieu d’autres alcools comme les amers
Marques : Beefeater, Tanqueray

plymouth

Plus doux et soyeux que le Dry.
Il jumelle les agrumes et la cardamone.
Il doit absolument être distillé et embouteillé dans la ville de Plymouth, en Angleterre.
C’est la seule appellation de gin qui ne possède qu’un produit.

Usage : dans les cocktails aux agrumes
Marque : Plymouth

old tom

Plus sucré que le Dry mais plus sec que le Genever.
Il est souvent appelé « Chainon manquant » de la famille.
On a longtemps cru que son nom venait des plaques de bois illustrant un chat noir (Old Tom) apposées sur les pubs anglais du 17ème, qui servait de machine-distributeur d’alcool. Il est revenu avec la renaissance des cocktail en 2007, lorsque Hayman à relancé sa production.

Usage : pour les mélanges de l’âge d’or du cocktail américain
Marques : Hayman’s

genever

L’ancêtre du gin provenant de Hollande.
Bols est la marque de spiritueux la plus ancienne (1575).
Il s’agit d’un vin de malt distillé trois fois dans un alambic traditionnel, dont une avec des baies de genièvre.
Entre whisky non-âgé (moonshine) et gin.
Plus sucré et plus riche que ses descendants.

Usage : pour un punch typique du 16ème
Marques : Bols

distilled

Les nouveaux gins arrivés dans les années 2000.
Cette catégorie permet la macération d’aromate après la distillation.
Certains gins, comme ceux au safran, ont une couleur différente du Dry.

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